Le croisement situé sur la commune de Corcelles-en-Beaujolais au lieu dit «La Lime», où la Départementale D9 coupe l’ex RN6, va être prochainement aménagé, comme bien d’autres, en rond-point, pour favoriser sécurité et fluidité du trafic.
Cette information serait assez banale en soi, si elle n’évoquait pas le lieu de l’accident mortel survenu en 1912 à l’un des pionniers de l’aviation.
Pour commémorer cet événement tragique, une stèle en forme de colonne surmontée d’une aile en bronze doré fut érigée en 1928. Elle se trouve toujours dans l’angle nord-est de l’intersection. Sa position actuelle n’est plus tout à fait celle d’origine, ni définitive en raison des aménagements successifs des lieux dont celui annoncé.
Comme il est malaisé de s’y arrêter, rappelons qu’elle porte, gravée sur la pierre de couleur blanche:
«Ici est mort Charles VOISIN, le 26 septembre 1912. Né à Lyon le 12 juillet 1882. A son nom est attachée la gloire d’avoir été le premier français qui, le 15 mars 1907 à Bagatelle, accomplit un vol mécanique sur un aéroplane muni d’un moteur à explosion».
Avec le temps, le nom usuel du croisement est devenu celui de «Monument VOISIN».
Sa prochaine mise au goût du jour suggère d’évoquer les circonstances de l’accident qui coûta la vie à Charles VOISIN.
Auparavant, rappelons que Gabriel, son frère né à Belleville sur Saône le 8 février 1880, a été l’un des premiers constructeurs d’avions en puissance de voler. Son atelier de la rue de la ferme à Boulogne-Billancourt fut d’abord le siège de l’association éphémère Blériot-Voisin, puis dès le retour du service militaire de son frère, le portail de l’entreprise s’orna de l’enseigne significative: «Appareils d’Aviation Les frères VOISIN».
C’est en mettant au point leur troisième machine destinée au sculpteur aviateur Léon Delagrange, munie d’un moteur V8 «Antoinette», conçu par Léon LEVASSEUR, que Charles VOISIN fut le premier français à avoir volé.
Dix mois après, le 13 janvier 1908, sur le champ de manœuvre d’Issy-les-Moulineaux, à bord d’un biplan VOISIN livré en août 1907, Henry FARMAN effectuait le premier kilomètre en circuit fermé, recevant ainsi le prix de 50000 Francs (or) offert par deux mécènes associés pour la circonstance, M. DEUTSCH DE LA MEURTHE et M. ARCHDEACON.
L’année suivante, le 16 juin, ce fut au tour de Gabriel VOISIN d’être co-lauréat avec Louis BLERIOT du prix Osiris de 100000 Francs récompensant «un progrès à la science» décerné par l’Institut de France.
L’ACCIDENT MORTEL DU 26 SEPTEMBRE 1912
Charles VOISIN et sa compagne Elise DEROCHE[1], une des premières femmes à avoir volé seule, titulaire du premier brevet de pilote attribué à une femme (n°36 du 8 mars 1910) avaient pris quelques distances avec la nouvelle usine VOISIN du quai du Point du Jour dans laquelle ils demeuraient depuis deux ou trois ans.
Charles avait, en effet, organisé une tournée de démonstration de six mois en Amérique du Sud, en compagnie d’Elise et de deux aviateurs, Roland GARROS et le suisse Edmond AUDEMARD.
Dès leur retour sur l’ancien continent, Roland GARROS gagne le premier grand prix de l’Aéro-Club de France disputé en Anjou en juin 1912, toujours managé par Charles et Elise.
Les exhibitions se poursuivent. A l’issue du meeting de Roanne, où se produisait Roland GARROS, Charles et Elise avec leur mécanicien Léon NICHE, décident de passer par Lyon avant de regagner Paris par la RN6.
Leur rapide torpédo Hispano Suiza type Alphone XIII arrive bientôt à vive allure sur le territoire de la commune de Corcelles, vers l’intersection fatale.
Charles VOISIN s’apprête à croiser sur sa gauche une file de camionneurs hippomobiles qui marche en direction de Lyon. La voie, suffisamment large pour passer à trois de front, se trouve brutalement encombrée par une Darracq surgissant de la route de Thoissey, cachée jusque là par des buissons. Son conducteur timoré, hésitant, effrayé peut être par la vitesse et la poussière levée par l’Hispano, curieusement ne chercha pasà s’insérer ou se serrer contre dans la file des camionneurs, mais eut cette réaction ahurissante de se rabattre sur sa gauche pour, dira t-il, laisser le centre de la chaussée à une voiture aussi rapide.
Charles VOISIN ne put que s’engager sur sa droite dans l’espace insuffisant pour y passer sans dommages car limité à gauche par la voiture à la manœuvre invraisemblable et à droite par un arbre. Le choc était inévitable, les roues avant de l’Hispano percutèrent, à gauche, la roue gauche avant de la Darracq qui fut arrachée, et à droite, un tas de pierres dressé sur la bas-côté de la chaussée. Ce monticule a peut être servi de tremplin au saut périlleux que fit l’Hispano en franchissant la route de Thoissey, et retombant sur ses roues vingt mètres plus loin, après avoir touché un arbre.
Charles VOISIN fut tué sur le coup, écrasé par la voiture, le crâne perforé par des ferrures. Son corps, dégagé difficilement fut transporté à l’hôpital de Belleville sur Saône.
Elise DEROCHE et Léon NICHE ne furent que légèrement contusionnés. Le lendemain, après quelques réparations sommaires dont un pneu arraché d’une roue arrière, le mécanicien NICHE conduisit l’Hispano par ses propres moyens chez PERRIN, garagiste à Belleville sur Saône.
Les obsèques civiles de Charles VOISIN eurent lieu le dimanche 29 septembre à Neuville sur Saône non loin de la rivière où les deux frères firent leurs premières expériences de vol de cerfs-volants.
Gabriel VOISIN, l’aviateur Roland GARROS et Elise DEROCHE accompagnèrent le frère, l’ami, le compagnon, jusqu’à sa dernière demeure, un cimetière situé en haut d’une colline…
Mon père qui assista aux funérailles, déplorait dans ses «notes et souvenirs» que la presse ne mentionnât nullement cette lugubre cérémonie.
Et pourtant, la popularité de l’homme qui venait de disparaître avait été, deux ans auparavant aussi grande que celle de BLERIOT ou des frères WRIGHT[2].
Hubert MELOT